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domingo, junho 03, 2007

Jean Sibelius (1865-1957)


Jean Sibelius (1865-1957) ou l'Art du paradoxe
par Pierre-Yves Lascar

L’oeuvre de Jean Sibelius, compositeur Finlandais qui par la force de son génie est devenu universel, est aujourd’hui considérée comme essentielle à la compréhension de la vie créatrice du début du XX ème siècle. Profondément marqué par les grands compositeurs de l'âge classique, comme peut-être aucun autre à son époque, Jean Sibelius a pourtant immédiatement affirmé sa profonde modernité dans l'agencement structurel et sa conception de l'orchestration. Rigoureuse et austère, la musique de Sibelius ? Elle ne cesse pourtant d’être la vie et l’émotion pures.

Les sons de la nature
L’une des grandes forces de la musique de Sibelius est son aptitude à déconstruire nos habitudes d’écoute traditionnelles. Comme le remarque Pascal Dusapin dans sa préface au Jean Sibelius de Marc Vignal (Fayard), « écouter Sibelius relève d’une expérience où il convient en tout premier lieu de désécrire le fil de son propre apprentissage ». En cela, Sibelius appartient tout à fait à une génération de musiciens qui, avec ses contemporains Claude Debussy et Gustav Mahler, ont à cœur de renouveler le discours musical, chacun à leur manière. Le style orchestral du Finlandais, lui, se caractérise notamment par de brefs motifs incisifs, des pédales longuement tenues, des ostinato qui font lentement monter la tension, et souvent des superpositions de couches rythmiques « étrangères » l’une de l’autre, sans compter l’orchestration souvent très originale par strates. Tout ceci naît très rapidement chez Sibelius, puisque Lemminkaïnen à Tuonela (Légendes op. 22, n° 3, 1895), en demeure l’un des plus merveilleux exemples. Ainsi les grandes créations de Sibelius nécessitent-elles à la première écoute une grande concentration, peut-être davantage que d’autres œuvres de la même époque. L’auditeur recherche en effet tout autant une adéquation avec les éléments moteurs du flux musical qu’un nouvel équilibre intérieur.
Si la musique de Jean Sibelius est sans aucun doute d’une construction rigoureuse et austère, elle bannit cependant toute idée de robustesse, de stérilité. Durant toute sa vie, Sibelius n’a visé en réalité que l’approfondissement des moyens d’expression. Jamais il ne fut animé d’idées ou de projets didactiques. La Quatrième Symphonie (1911) en est un des plus beaux exemples. D’une complexité structurelle redoutable, entièrement fondée sur un seul intervalle, à savoir la quarte augmentée (ou triton), et abordant en bien des pages la bitonalité, cette œuvre parmi les plus radicales du début du XX ème siècle, avec Pierrot Lunaire de Schoenberg, Le Sacre du Printemps de Stravinsky ou Jeux de Debussy, étonne toujours par sa nudité, son dépouillement, voire son aridité désertique, et demeure pourtant poignante par son lyrisme mélancolique, son désespoir tragique. Comme avec Debussy, ou bien avant, avec Bach ou Beethoven, ce souci extrême de la perfection formelle ouvre d’infinis espaces de liberté poétique. La musique de Sibelius reproduit les sons de la vie, ou peut-être plutôt ceux de la nature. La nature dans toute sa générosité, dans toute sa violence intrinsèque, sa force et sa puissance organiques, sa capacité à se désintégrer puis à renaître. Une œuvre comme Tapiola (1924), par exemple, impressionne aussi par la « plasticité » de son matériau musical : dans cette évocation de la demeure de Tapio, le dieu de la Forêt dans la mythologie finlandaise, ce sont moins en définitive les feuilles qui bruissent, le vent qui murmure ou qui se meut tel une bourrasque que les notes qui ondulent, le matériau plastique qui se distord, qui s’aplanit, etc…S’opère en réalité ici, une véritable assimilation des « phénomènes » naturels par la matière sonore ou musicale.

Comme les temples antiques
On ne peut nier que la nature influence Sibelius. L’homme n’est cependant pas absent bien qu’il soit souvent mis de côté, et cette ambivalence explique peut-être que de nombreux thèmes sibéliens gardent un caractère profondément mélancolique, étrange et secret. Le « thème » des cordes qui ouvre la Sixième Symphonie (1924) en est un magnifique exemple, et les dernières mesures – plus extraordinaires encore - figurent comme une porte ouverte sur le paradis ; le silence - l’éternité ? - devient alors plus musical que la musique. L’homme se trouve dans un état d’émerveillement : plus rien ne viendra le troubler.
Par cette impression de plénitude absolue, cette sensation de suprême équilibre, et par leur perpétuelle poésie, les œuvres majeures de Sibelius sont dans une certaine mesure semblables aux temples grecs ou romains, où aucun élément ne semble agir véritablement, visiblement et de façon décisive sur le Tout ; pourtant nos yeux, nos oreilles nous affirment en permanence le contraire. Tout comme les temples antiques forcent indéniablement notre admiration, l’oeuvre de Sibelius fascine par son pouvoir littéralement enivrant. Voici une œuvre, qui n’affirme jamais sa modernité avec fracas, car son auteur concevait avant tout la modernité comme la possibilité d’un renouvellement des formes classiques et non comme leur destruction irréfragable. Voici une œuvre absolument unique par son identité et ses paysages sonores. Une œuvre poignante, bouleversante, sublime, qui atteint au plus profond de l’âme et de l’émotion humaines. « Il n’y a rien à prendre chez Sibelius, car il donne Tout », écrit Pascal Dusapin. Flodin, dans une partie de son compte-rendu publié dans Nya Pressen après la première exécution des Légendes du Kalevala opus 22 (1896), dit encore : il y a ici « un manque de compassion envers des auditeurs laissés dans l’ignorance du fait que pour parvenir à l’extase, il devront s’exposer à de fortes tensions nerveuses ! ». En réalité, notre compositeur Finlandais entretient avec génie le mystère de la création artistique.

Illustrations
Portrait de Jean Sibelius (DR)
Aksel Gallen-Kallela, le lac Keilele, 1905 (Londres, National Gallery)

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